J’ai rencontré Edouard LOUIS par hasard. Un jour en zappant, je suis tombée sur un reportage tout en douceur. Blond, la peau diaphane, la voix doucereuse, le ton empreint de réserve, j’ai trouvé le personnage atypique. J’ai regardé attentivement la fin de l’émission buvant chacune des paroles de ce jeune écrivain. J’ai été séduite par ce garçon délicat qui à l’âge de 24 ans seulement est déjà l’auteur de 2 ouvrages rapidement devenus des Best-seller.
Curieuse, je me suis ruée dans un point presse afin de me procurer ses ouvrages.
Très logiquement j’ai commencé ma lecture par le premier livre : « En finir avec Eddy BELLEGUEULE ». Je me demandais ce qui pouvait faire qu’un si jeune homme veuille en finir avec celui qu’il avait été, et de façon si ouverte, au point de changer officiellement de nom pour devenir Edouard LOUIS. Il était nécessaire que je comprenne comment et pourquoi, pour reprendre ses propres mots dans le second ouvrage, « il utilisait l’après pour donner du sens à l’avant ». Fallait-il que l’avant ait été si douloureux ?
La critique sur l’ouvrage d’Edouard LOUIS est unanime. Ce livre est incroyable, il est bon. Ce qui explique que l’ouvrage soit déjà traduit en plus de 20 langues.
Cru, avec le souci du détail, le livre jette un regard froid et dur sur la pauvreté crasseuse, l’homosexualité et l’homophobie telle qu’elle est vécue dans les petits villages, les petites bourgades. Le récit parle aussi du racisme mais surtout, il relate le quotidien des personnes simples, modestes. Un quotidien qui oscille entre le travail à l’usine ou dans les caisses des petites supérettes et la téloche comme ils l’appellent. Edouard décrit un monde de bouseux incultes et violents, il décrit la crasse de ceux qui ne se brossent jamais les dents et même la crasse sur les murs des chambres, les lits qui s’effondrent, les fenêtres de carton qui laissent passer l’humidité.
Parlant sans retenue de certains aspects de la vie des villages de France, de l’émancipation sexuelle des jeunes désœuvrés et sans directives, Edouard choque, il ne fait pas dans la romance ! Mais on aperçoit également, non sans mal, les bribes de la vie d’un homo des années soi-disant « modernes » ! A bon entendeur !
On peut admirer le courage exceptionnel ou la naïveté de l’auteur qui dénonce toute l’horreur de sa vie (selon son jugement), sans nous ménager, quand on sait que la «paix sociale» repose sur l’acceptation silencieuse d’inégalités persistantes et croissantes et ou le citadin lettré, cultivé semblent s’opposer de façon si brillante voire apaisante au monde des pauvres assimilés à des barbares ! Coup de pied dans la fourmilière ou aveuglement passager d’un jeune homme en rébellion ?
L’ouvrage met l’accent sur la fuite en avant de cet enfant qui ne veut pas vivre comme ses parents, qui veut découvrir un autre monde, sans avoir de plan ni la certitude de jamais y parvenir.
En finir avec Eddy BELLEGUEULE est pour certains un « cri de colère» ou l’expression de «son dégoût devant le mythe – tenace – qui fait des prolétaires de braves bêtes, gentils au fond, des bons vivants». Tous les avis sont permis! On pourrait aussi juger qu’Eddy BELLEGUEULE rejette ses origines, dire ou penser qu’il n’était pas obligé de changer de nom, ni même de nous raconter ses expériences intimes … voire trop intimes !
Eddy BELLEGUEULE s’en sort mais qu’en est-il de tous les autres ?
Quels que puissent être nos points de vue, il n’empêche que pour ceux qui aiment savoir, qui aime se tenir informé, qui aime la nature humaine et ses vicissitudes, ceux qui connaissent la paix qu’apporte l’écriture, ceux qui aime la littérature, cet ouvrage est un chef d’œuvre qui ne laisse pas indifférent.
J’ai lu cette oeuvre sur vos conseils Mariella et je n’en ai pas été déçu. « En finir avec Eddy Bellegueule » m’a fait penser à Billy Eliott et au film « Les garçons et Guillaume à table ».
On y retrouve des thématiques communes: le rejet absolu de l’homosexualité, l’injonction faite à l’enfant encore immature sexuellement de se comporter comme un « dur », un hétéro, la violence de classe, l’étroitesse d’esprit.
Cependant, au contraire des parents de Billy Eliott qui ont tendance à le pousser vers le haut pour qu’il vive sa passion, ceux d’Eddy le tirent vers le bas et font preuve à son égard d’une certaine cruauté qui s’accompagne dans certains cas d’une stigmatisation.
On pourrait dire que c’est une chronique d’une famille ouvrière ordinaire mais je ne pense pas que l’on puisse classer l’histoire d’Eddy dans la banalité ou le cliché.
Ses parents vivent le déclassement social assez durement, ils sont victimes des déterminismes sociaux et en rendent responsables les politiques, les étrangers, les homos etc. comme lors de la crise de 1929, les fonctionnaires étaient considérés comme responsables de tous les maux.
Il y a deux passages de cette oeuvre qui m’ont marqué (en dehors de ceux dont je vous ai entretenu par mail): la mère d’Eddy allègue qu’elle était intelligente, qu’elle aurait pu faire des études, avoir un vrai travail, être plus qu’une mère au foyer.
Avec une lucidité qui confine à la cruauté, Edouard Louis fait remarquer que loin d’être le fruit du hasard, la vie de sa mère est exactement la résultante de ce qui devait arriver, comme si chaque enfant né dans une famille ouvrière avait une destinée toute tracée et ne pouvait en aucun cas s’extraire de sa condition d’origine.
Le deuxième passage qui m’a marqué est celui où il est question de sa mère qui, alors que son mari est au chômage et est trop fainéant pour reprendre un travail, parvient à gagner 1000 euros avec des emplois d’aide à domicile.
Son mari ne le supporte pas car il ne perçoit que 700 euros/mois au titre du chômage. Il lui interdit alors de travailler et décrète que 700 euros pour une famille de 5 enfants, c’est suffisant…
C’est quand même terrible de voir un père de famille qui refuse de travailler condamner sa famille à la pauvreté et la médiocrité uniquement pour ne pas subir l’humiliation que sa femme rapporte plus d’argent que lui au foyer.
Edouard Louis porte un regard assez cruel sur sa famille et ses origines mais il n’y a malheureusement dans son propos rien d’exagéré ni de faux.
Je pense que c’est une forme de catharsis pour ce jeune auteur: en couchant sa souffrance, sa révolte, sa révulsion sur le papier, il l’exorcise.
N’y voyez nulle flagornerie mais ça me fait penser à la dernière réplique de votre roman « les pêcheurs de grand baie »: « Le passé est un pays auquel je n’appartiens plus ».
Tout récit autobiographique a une fonction de défouloir mais également une dimension constructive et édifiante quand on ne vit plus enfermé dans le passé.