
Des hommes qui lisent
Page de couverture de l’ouvrage d’Edouard Philippe « Des hommes qui lisent » paru en juillet 2017
Il y a 15 jours, je me promenais avec mon aînée et mon benjamin (rien de tel pour me sentir ornée de la plus riche des parures). Nous déambulions nonchalamment dans les allées du BHV quartier du Marais à Paris lorsque j’aperçois ce livre au titre sympathique, sans m’attarder sur l’auteur, je l’attrape en passant.
Quelques jours plus tard, je suis toute contente d’être la première à donner mon avis sur deux des sites de ventes de livres célèbres (oui un rien m’enchante), et je suis heureuse de partager avec vous mon humble point de vue.
Tous les goûts sont dans la nature, les avis contradictoires ne peuvent que nous enrichir. Pour autant, mon avis est le suivant : je viens d’achever la lecture du chef-d’œuvre de l’année, le premier ouvrage écrit seul par notre premier ministre Edouard Philippe : « Des hommes qui lisent ».
Avec élégance, notre premier ministre nous raconte son amour pour la littérature tout en évoquant toujours au travers des livres une saga familiale pour le moins originale.
Edouard Philippe parle de son grand-père, évoque les difficultés de communication entre les pères et les fils, tout en respect et en admiration les uns pour les autres. Un ciment, le liant parfait après l’amour : les livres.
Il nous donne envie de lire, il nous communique sa soif de savoir et sa reconnaissance envers les écrivains qui ont influencé sa vie, son parcours de vie et son parcours politique.
Je voudrais retenir chacune des phrases de cet écrit, tellement simples mais si profondes, je vous en livre deux :
- 122 « Accéder à la lecture, c’est se doter d’une arme formidable : le droit d’imaginer, le droit de penser par soi-même et le droit de savoir ».
N’est-ce pas vrai cela. Une arme contre l’ennui, une arme contre l’acculture, une arme contre l’ignorance, ….
- 211 « la lecture est une respiration. Elle est tout à la fois une sortie du monde, et une façon d’y entrer plus fort».
Une respiration, un break, un voyage, … une sortie du monde, une mise en retrait pour justement reprendre son souffle, et se sentir plus fort de ses nouvelles connaissances, de son tout nouveau savoir, ou simplement enivré de plaisir et de joie.
Les citations, les auteurs, les références littéraires, je ne m’y hasarderais pas, trop puissantes, trop nombreuses, trop riches, je vous laisse vous y plonger.
Je ne dois pas oublier de mentionner que cet ouvrage est aussi un hymne à l’amour pour son père parti trop tôt en 2014. Edouard Philippe lui offre d’ailleurs les dernières lignes de son œuvre :
« Si l’au-delà lui a été favorable, peut-être mon père est il en train de lire mon livre. Peut-être sourit-il. De son sourire si doux, mélange de la fierté qu’il éprouvait pour les siens et de l’ironie avec laquelle il regardait le monde…un sourire qui me manque, alors même qu’il ne me quitte pas. »
« Ce publication est le roman d’une famille marquée par les livres, le récit d’une relation entre un père et son fils, un essai sur une politique municipale mais avant tout, il est une plaidoirie pour la lecture. »
Je plaide coupable.
A la suite de votre commentaire, j’ai lu cet ouvrage d’Edouard Philippe.
Le premier chapitre laisse l’impression erronée qu’il s’agit d’un plaidoyer pour une politique publique en faveur de la lecture, comme l’admet d’ailleurs l’auteur dans sa conclusion.
Mais il s’agit en fait d’un ouvrage biographique. Edouard Philippe retrace l’histoire de sa famille depuis son arrière grand-père jusqu’à ses fils avec un fil conducteur: la lecture.
Il est amusant de voir notre premier Ministre s’essayer à la psychologie lorsqu’il décrit les relations père-fils dans la famille Philippe, marquée à chaque génération par des difficultés de communication.
Edouard Philippe, pourtant lecteur compulsif, revendique qu’il ne lit pas les ouvrages que son père aime mais qu’il découvre au compte goutte après son décès conté avec une sobriété touchante teintée d’admiration « Il prit la décision d’arrêter son traitement pour partir entier ».
La description qu’Edouard Philippe fait de ce père, professeur de français, distant avec son fils est touchante.
Il décrit un homme qui écrit tous les jours, dans le secret de son bureau mais ne souhaite pas être lu. Un homme auquel la faiblesse physique interdit l’envol vers des horizons lointains ou les performances sportives et qui reporte son énergie sur la lecture.
Complexe d’œdipe, peut-être de notre premier ministre qui tel le coryphée chante la gloire passée du roi de Thèbes mais qui comme Créon aspire à le supplanter.
Edouard Philippe a une relation intime avec la lecture, utilitariste parfois quand il achète la protection des costauds de son école par ses connaissances.
Il instrumentalise aussi la lecture à des fins politiques, pour distiller quelques piques à l’encontre des anciens présidents de la République dont il observe le déclin intellectuel sans pourtant faire l’éloge d’Emmanuel Macron.
Dans ce récit biographique, Edouard Philippe se met en scène avec brio, invoquant de grands auteurs pour justifier son passage de la Gauche à la Droite. En résumé, il était de gauche quand il ne connaissait que cela, il a été de droite à partir du moment où il a côtoyé une autre réalité que celle de son milieu social. C’est finement joué.
C’est quelque part également un essai psychologique. Edouard Philippe aime les grands auteurs, tient leurs œuvres dans ses mains avec vénération mais s’accomplit-t-il par lui-même ou à travers eux?
Un passage m’a rappelé une expérience. Edouard Philippe mentionne les récitals de littérature où de grands acteurs comme Fabrice Luchini lisent in extenso de leur voix vibrante de charisme tout ou partie d’un auteur célèbre.
Dans un autre passage, Edouard Philippe met en évidence que le fait de lire dans sa tête, sans vocaliser sa lecture relève de l’acquis.
Il y a quelques temps, j’assistai à l’un de ces récitals à mon corps défendant, pour faire plaisir. L’orateur était charismatique, je ne le nie pas, sa voix portait et pourtant mes paupières devinrent rapidement lourdes et je m’endormis pour ne me réveiller que lorsque le public se leva pour applaudir.
Quelques temps après, je relus l’ouvrage dont la lecture vocalisée m’avait tant ennuyé et je le trouvai captivant.
Comme le touche du doigt Edouard Philippe, la lecture est une activité intellectuelle et solitaire Elle tient de la réflexion plus que de l’émotion.
Et cette émotion que l’orateur que j’écoutai ce soir là me narrer des vers sans doutes magnifiques, elle ne m’avait pas atteint car elle ne venait pas de moi mais de lui.
C’est peut-être là le nœud gordien du rapport d’Edouard Philippe avec son père. Ils ne parviennent pas à partager l’émotion de la lecture, chacun vit cette aventure de son côté sans la partager avec l’autre.
Je pense à votre article, « l’écriture thérapie », et fais le rapprochement avec cet ouvrage.
Edouard Philippe dit qu’il ne sait pas ce sur quoi son père écrivait mais simplement qu’il écrivait. C’est le paradoxe du professeur de français dont la principale mission est de communiquer à ses élèves l’amour de la lecture mais qui ne parvient à surmonter l’inhibition d’exposer son propre travail à la critique.
Edouard Philippe dépasse ce stade en écrivant seul ou en collaboration des livres qui peuvent l’exposer à la critique.
En refermant cet ouvrage, j’ai eu le sentiment d’avoir savouré la science du langage de l’auteur, son raffinement des mots, son humour mais paradoxalement, je n’ai pas le sentiment de le connaître intimement.
Cet homme qui revendique d’être entré dans le monde de la lecture par la porte de la bataille des Thermopyles est-il un Hérodote qui voit un million de Perses face à 300 spartiates ou un Thucydide à la vision plus réaliste.
Edouard Philippe est-il un intellectuel idéaliste ou un technocrate humaniste?
IL y a quelque chose de touchant et naïf dans sa description de la ville du Havre, de ces espaces de lecture qu’il y a crées, de ces livres empruntés et jamais rendus.
Mais tout en professant le fait de rendre la lecture accessible à tous, il revendique son désir égoïste de conserver pour lui ses livres qu’il ne prête jamais.
Et quelque part, il reproduit le schéma de son père avec lui. Ce dernier lui fait lire une page de l’enfer de Dante avant qu’il ne puisse la comprendre avec ce message subliminal et intime « tu seras un littéraire mon fils » lorsqu’il inscrit la mention de cette lecture sur l’ouvrage.
Edouard Philippe appelle ses fils Anatole et Léonard car dans le même réflexe démiurgique que son père, il projette sur eux son désir de les voir partager les mêmes passions que lui.
Si j’étais joueur, je parierais que son aîné ne lira pas Anatole France avant la mort de son père.
Je suis d’accord pour dire que c’est un très bon ouvrage qui rend plus sympathique et accessible son auteur, permet de partager avec lui l’amour des belles lettres, de la langue française et la haine des dictées.
Mais cela me donne envie de lire les mots d’Edouard Philippe dans une oeuvre personnelle et fictionnelle où aucun auteur passé ou présent ne serait convoqué, où les mots ne seraient que les siens et où le lecteur serait vraiment en tête à tête avec lui.
Merci Iason, vos arguments sont toujours percutants et vos commentaires si fins. C’est toujours un plaisir de vous lire.
Pour le coup vous m’avez amusée par votre profond sommeil lors du récital. J’ai essayé de vous imaginer, mais je vous sais amoureux de votre solitude alors, je commprends.
Vous lire est toujours un bonheur Mariella. Je pense que c’est plus la solitude qui s’est éprise de moi que l’inverse car j’apprécie beaucoup d’être en société. Mais écouter un roman lu par un orateur certes charismatique, c’est au-dessus de mes forces. Pour vire, pour exister, l’être humain doit être acteur de sa vie. Une pièce de théâtre réussie est une pièce qui convoque le public, qui le fait rire ou pleurer. Un film réussi est un film qui suscite une émotion, une identification. Ce jour là, j’ai eu l’impression d’écouter un orateur autiste qui gardait jalousement pour lui toute l’émotion des mots et ne faisait aucun effort pour la partager avec moi à l’instar de Daniel Prévost dans une pièce intitulée « Federico, l’Espagne et moi » à laquelle j’ai eu la malchance d’assister il y a quelques années. Du coup j’ai décroché complètement alors qu’autour de moi des gens étaient comme hypnotisées. Nous avons tous notre propre sensibilité.