Mariella-Bergen-steppe-Pas une âme en vue. Jusqu’où s’étirent ces étendues qui se fondent dans l’immensité que seuls les fils de la steppe savent distinguer ? Des mornes et des montagnes à perte de vue. Les repères d’espaces et de temps s’évanouissent en Mongolie.

Des animaux libres

A droite, sur le sommet de la colline, un troupeau de chèvres. Une centaine voire un peu plus. Elles paissent tranquillement. Après s’être abreuvées au ruisseau qui coule au milieu de la vallée, elles ont choisi librement leur lieu de villégiature.

Il a tournoyé longtemps dans le ciel, autour et devant moi, puis tout d’un coup, un milan se pose auprès de moi. Noir d’ébène, énorme, tout comme les corbeaux qui nous effrayaient dans le film les oiseaux d’Alfred Hitchcock, il planait comme un charognard en quête d’un cadavre. Suis-je à ce point immobile ou prévisible qu’il ne me craigne pas ?

A quelques pas, un chevreau, d’après la famille mongole qui m’héberge, il n’a que 5 jours. Il est donc indispensable de le garder près des yourtes pour qu’il ne se perde pas dans les étendues immenses qui formeront bientôt son terrain de jeu.

Au loin, sur une corde tendue entre deux piquets de bois, 8 chevaux sont retenus. Ce sont les chevaux de courses. Ce matin ils ont été séparés du reste du cheptel pour être montés et préparés en vue de la grande course annuelle qui a lieu chaque année le 1er juin  soit dans 2 jours.

Le reste du troupeau y compris les poulains, également totalement libre, broute l’herbe de l’autre côté du ruisseau.

Et puis il  y a les yacks. Plus tranquille, juste à coté des chevaux, ils piétinent sereinement. Tôt ce matin, ils sont passés par la traite. Disciplinés et sereins ils se sont laissés faire pour offrir à la famille le lait nourrissant qui sera servi en boisson ou transformé en yaourt ou en fromage. Voilà maintenant les yacks qui se repaissent de l’herbe bien fraiche du matin.

Tournant la tête vers la gauche en direction du troupeau de moutons, j’aperçois un écureuil terrestre qui se dresse, curieux, sur ses pattes arrière.

La tranquillité de la steppe

Ici, les animaux et les hommes vivent en parfaite harmonie. Pas d’enclos, pas de box, pas de corde au cou, pas de marques au fer rouge sur leur flanc, pas de collier ni de muselière à la gueule de l’imposant chien endormi contre la yourte. Orouck semble pourtant se situer à la frontière entre un border collie et un loup. Il est impressionnant. Dès la nuit tombée, il prend son quart. Il tourne autour du camp en aboyant dans le silence de la nuit pour avertir les éventuels prédateurs qu’il est présent et qu’il veille sur sa famille. La rigueur avec laquelle il joue son rôle est impressionnante.

Les différents troupeaux irradient des couleurs marron, noir, blanc dont certaines couleurs se marient parfois joliment en un seul animal. Pas d’agression et de combat entre les animaux, pas de cris intempestifs, sinon quelques bêlements ou braillements des petits qui recherchent leurs mamans dans le nombre.

La vie s’écoule lentement au rythme du soleil qui se lève en chassant la lune et des étoiles qui emplissent le ciel quand vient le moment de rejoindre les duvets qui nous protégeront du rude froid qui envahit la vallée durant la nuit.

La lune, le ciel, le soleil, le vent et les orages sont les référents des nomades. Ce sont eux qui guident et dirigent ceux qui vivent dans le climat aride des steppes de Mongolie.

Et ce sont surement ces éléments de la nature ainsi que ces grands espaces qui empêchent aux idées de se bousculer dans la tête. Ils instaurent une distance entre elles comme des silences, une intelligence, le temps nécessaire à la réflexion, au maintien du calme et du lâcher-prise.

Pas de réseaux, pas photos

Il n’y a pas d’électricité, aussi vais-je devoir bientôt cesser mon récit tapuscrit. Je le reprendrai lorsque j’aurais repris le chemin de la ville, avec ses lumières agressives qui nous font confondre le diurne et le nocturne, avec ses bruits de klaxons qui agressent les tympans, avec sa pollution toxique et sa population qui se meut d’un pas pressé et stressé.

Je n’ai pas pris beaucoup de photos. Comment calibrer le paysage infini pour l’enfermer dans un cadre photo aux bords délimités. Et puis c’est inutile. Cependant je n’oublierai jamais. Et je sais également rien ne saurai rendre hommage à la puissance du ressenti qui m’envahit tandis que je marche lentement à travers la steppe.

Le soleil presque à son zénith m’indique qu’il va bientôt être midi dans le no man’s land ou je séjourne actuellement. Je ne sais même pas quel jour nous sommes et comment je vais occuper mon après-midi. Plus rien ne m’inquiète. Vais-je me reposer sous la yourte ? Vais-je me balader à travers les collines de la steppe ? Vais-je rassembler un peu de bois pour la nuit ? Vais-je lire, ou écrire ?

Pas d’électricité, pas d’eau, pas de téléphone, de wifi, pas de G4 de G3.

Cela peut paraitre difficile de composer avec la solitude des lieux, pourtant la tranquillité de ce monde totalement différent du mien me séduit. Impossible de communiquer avec les siens, d’envoyer des images éclairs des lieux insolites que je visite, des chevauchées sauvages, de tout ce que auxquels mes yeux s’habituent déjà. Non il va falloir attendre avant de communiquer avec d’autres. Attendre de communiquer déjà avec soi-même, de faire le point, de se remplir de la beauté de la contrée, de se remplir du vide palpable et intense. L’immobilité du paysage devient radieuse et son impassibilité m’enrichit d’enseignement. La steppe est peut-être l’interstice que j’attendais pour m’échapper ou la faille au sein de laquelle je m’affranchis de mes obligations, je m’isole, je me dématérialise, …

Mongolie-Didier-et-Mariella-Bergen-

Didier et Mariella dans la steppe de Mongolie -Juin 2019

Ai-je déjà été si seule, si sereine, si zen ? Dans l’immensité de la steppe mongole je m’interroge et découvre que chaque espace se voit attribuer une posture, un mode de déplacement une lenteur ou une vitesse. Et qu’en le laissant agir sur moi, instinctivement je vais savoir comment faire.

Merveilleuse Mongolie, tu me manques déjà.