Un seul mot d’ordre dans ma tête, que je suis seule à entendre mais qui me tient debout : tenir…il faut tenir.
Pour elles. Pour eux.
Pour elle surtout. Elle dont le regard s’accroche si fort à mes yeux que je crois le sentir comme deux mains qui m’agrippent. Parce qu’elle a peur, parce qu’elle a mal. Un sentiment de tomber dans le vide. Ses émotions, sa peur, sa douleur, je les ressens dans mon corps, dans ma tête.
Enveloppée dans sa couverture rose, une adorable poupée passe tour à tour dans ses bras, dans les miens, dans ceux de Didier. Une poupée que nous ne voulons pas perdre, que nous voudrions vivante, chaude. Comment a fait Gepetto pour donner vie à Pinocchio ?
Jésus l’a fait pour Lazare et pour d’autres, le fera t’il pour nous ?
Une nuit atroce. La certitude que rien ne sera plus avant. L’impression qu’un combat se déroule dans ma tête avec la haine si longtemps retenue qui tente de s’insinuer dans mon cœur. Le sentiment qu’en ce jour qui pointe je vais vivre la plus difficile des journées de ma vie.
Elevée par une mère sans cœur et sans cervelle, un père qui ne sait toujours pas ce que signifie être un parent, j’ai du inventer l’amour et le sens des responsabilités en devenant maman. Heureusement mes tripes me guidaient. J’ai laissé faire mon corps et ma tête, j’ai cherché les réponses et les directives dans les livres, j’ai observé les personnes aguerries, et j’ai tout mis en œuvre pour être une vraie mère. Celle qui complimente, celle qui sourit, celle qui propose et qui soutient. La mère qui protège, qui aide, qui encourage. La mère qui transmet. Celle qui s’informe, évolue, épouse les courbes de la vie sans perdre ses valeurs et ses principes.
Tout cela il a fallu le faire tout en grandissant, en murissant. Tout en me battant contre la vie, ses vicissitudes et mes adversaires, les mêmes charognards toujours au aguets, espérant la chute. Ceux qui n’ont pas connu ces épreuves-là mais que la haine anime, la bêtise et la rancœur. Les vautours. Mes sorcières.
Aujourd’hui, entourée des miens, le club des 5 unis comme les 5 doigts d’une main, je sais que tout cela n’était rien au regard de ce qui m’attend, de ce qui m’oblige. Mes preuves je dois les faire encore ce matin, devant le petit cercueil blanc de ma jolie petite-fille frappée par le sort à l’aube de sa vie, et devant le corps tordu de douleur de ma fille cadette, la doucelette, qui démarre son rôle de maman dans l’affliction la plus grande, celle que nul autre qu’elle aujourd’hui ne peut connaitre.
Je suis aidée et soutenue par le meilleur des compagnons, le meilleur des pères, le meilleur des hommes. Tout est plus simple avec un bon mari qui vous épaule et qui aime de cette façon si belle, si intense, hors du commun.
Nous n’avons pas dit « pourquoi nous », nous ne crions pas à l’injustice, nous ne le souhaitons à personne, …nous n’avons pas attendu d’avoir mal pour nous préparer au pire. Nous n’avons pas attendu d’avoir mal pour savoir que nous étions riches et heureux, chanceux, juste d’être tous la. Aussi nous avons chargé les batteries à bloc en prévision des jours sans. Nous y voila !
Comme sa mère avant elle, Inès jouit du bonheur d’avoir trouvé en Stéphane, son mari, un bon partenaire de vie. Courageux, aimant, loyal, responsable, il est auprès d’elle sans la moindre défaillance. C’est déjà tellement. Il oublie son chagrin de père pour soutenir sa camarade de classe, son amie, sa petite-amie devenue son épouse.
J’ai reconnu le bonheur au bruit qu’il a fait en partant disait Victor Hugo. Pas nous ! Nous ne faisons pas partie de ceux qui ne voit le verre qu’à moitié vide. Nous ne sommes pas de ceux qui se plaignent, les éternels insatisfaits. Nous ne sommes pas de ceux qui attendent que la manne tombe du ciel, non ! Chaque jour qui passait nous jouissions de la vie. Rejetant les misères, les tracas au feu comme simple mouchoir de papier. Affrontant les difficultés, la fatigue, les problèmes de santé et les états d’âme avec courage et sans jamais geindre. Corrigeant nos erreurs, nous aimant très fort et partageant nos joies, nous avons vécus jusque-là avec conscience et sérieux, avec partage, compréhension, compassion. Nous sommes une famille de travailleurs, une famille courageuse, la famille de Didier et Mariella. Et cela continuera tant qu’il en restera au moins un!
Aujourd’hui la réalité est plus forte que mes phrases philosophiques ou que mon sourire jusqu’ici à toutes épreuves. Je vais devoir regarder le corps de ma petite-fille entrer dans un four crématoire. Comme Hitler l’a cruellement fait avec les juifs, comme d’autres avant moi l’ont vécu. Je vais devoir regarder mon enfant regarder cela, s’accrocher au cercueil et entendre s’échapper de son corps un hurlement guttural sorti du fond de ses entrailles.
Je n’ai pas choisi la crémation, mais je suis une femme respectueuse. Je respecte le statut de parents de mes enfants. Je respecte le fait qu’ils ne soient pas de pales copies de nous, ni des disciples. Je suis fière d’en avoir fait des adultes responsables, aussi je sais me soumettre aux différences de points de vue, d’envie, de choix.
C’est cela la vie …
A mes cotés Didier dort encore. Le sommeil du juste, de l’homme sain, que les journées à assumer son rôle d’époux, de père et de grand-père, épuisent. Désormais son regard se perd souvent dans le vide et ses mots se font rares. Il est ainsi fait et nous le connaissons. Il suffit de se rapprocher de lui pour que ses bras s’entrouvrent et se referment sur nous comme un manteau protecteur. Il ôte sa veste dans le froid de l’hiver pour couvrir un enfant, sert du café ou du thé, s’agenouille devant ce petit être qu’il aime si fort et dont la vie s’est injustement échappée. Puis les larmes qu’il n’arrive plus à contenir s’échappent en un flot ininterrompu.
Redressée sur ce lit depuis des heures, dans la pénombre de la nuit, j’imagine cette journée, la peur au ventre, le cœur dans les talons, … en espérant que dépeindre ce tableau à l’avance m’aidera à supporter l’insupportable. Qu’ainsi je serai prête à aider ma fille…et seulement après, bien après, lorsque tout sera fini et que les cœurs des miens se remettront à battre, je pourrai, à l’abri des regards, pleurer ma petite-fille chérie.
Vole vole petite aile
Ma douce, mon hirondelle
Quitte manteau de misère
Vole mon ange, ma douleur
Qu’enfin ta souffrance cesse
Puisque rien ne te soulage
Lâche tes heures épuisées
Vole, tu l’as pas volé
Vole, vole petite flamme
Quitte ta peau de misère
Au revoir mon ange
Comme toujours tes mots sont magnifiques, tu es un Ange, devenue femme, mère, grand-mère…. je n’ai pas ton talent mais je veux te dire que je suis là, prête à t’épauler, je te sais forte pour les tiens. Je ne t’oublie pas sois en sûre.
Bonjour Mariella
Je viens, de te lire je suis bouleversée parce que je vous ai un peu perçus Didier et toi il y a un an en Mongolie…
Il n’y pas eu d’empathie de votre part vers moi et je n’ai d’ailleurs rien fait pour qu’il en soit autrement sns, doute…
Qu’importe le passé est passé je veux juste dans, ce douloureux présent que ta famille vit te.. Vous, témoigner de ma plus profonde tendresse celle qu’une maman desenfantée peut offrir à une grand mère et une mère dont la chair de sa chair s’envole prématurément…
Tendres pensées vers toi ta fille ta famille… Que le voyage de ta petite fille soit paisible et lumineux… Mon ange à moi s’est envolé à 20 ans.. Il y a 17 ans… Tu as raison plus, rien n’est plus, jamais comme avant mais être soutenue et entourée aide probablement à continuer le chemin..
Coeurdialement
Elisabeth Szlosser Liégeois